Dans cet article, je vous présentais mon livre sur la mémoire.
Sachez qu'à l'origine, j'avais écrit un préambule de quelques pages que nous avons finalement décidé de ne pas garder. C'est ce préambule que je vous propose aujourd'hui de découvrir…
Les questions qui concernent l’échec et la réussite scolaires m’intéressent depuis longtemps. Pourtant, la nécessité de mettre mon énergie au service de la réussite de tous (et surtout la forme que tout cela allait prendre) n’a émergé que progressivement.
Mes parents, psychologues tous les deux, souhaitaient m’inscrire petite dans des écoles qui promouvaient l’éducation populaire, les pédagogies nouvelles et la créativité dans les apprentissages. J’ai été ainsi accueillie dans des écoles maternelles qui basaient leur projet sur les principes de la pédagogie Freinet et Montessori.
Ces deux pédagogues avaient à cœur de mettre l’enfant au cœur du processus d’apprentissage, en s’appuyant sur son désir d’apprendre. L’enfant devait être libre d’aller découvrir son environnement, qui était toujours la source de connaissances diverses. Nous étions également associés à la vie de l’école. Les enseignants sollicitaient notre avis et nous pouvions influencer l’organisation de la journée, de la classe et même de l’institution toute entière.
J’ai ensuite poursuivi ma scolarité dans une école primaire classique. Pourtant, le goût d’apprendre ne m’a jamais quitté. J’aimais aller à l’école et participer aux projets qui y étaient proposés. Les exercices de calculs étaient pour moi comme des jeux et la lecture me permettait d’avoir accès librement à tous ces livres qui envahissaient l’appartement familial (en particulier ma chambre, qui ressemblait à une véritable bibliothèque).
Bon, tout cela est bien sympathique, mais quel rapport avec l’échec scolaire, la réussite scolaire et la mémoire…?
J’ai traversé mes années de collège et de lycée sur un long fleuve tranquille : des amis, des activités culturelles et sportives stimulantes et de très bonnes notes. Une seconde générale, un bac scientifique et une classe préparatoire (littéraire).
C’est là que les choses ont commencé à évoluer pour moi concernant mon rapport à l’école.
Car se confronter à l’échec scolaire pour la première fois de sa vie est une épreuve réellement déstabilisante. En France, nous vivons dans une société qui accorde une place prépondérante aux diplômes, aux grandes écoles et aux titres scolaires (les « normaliens », les « énarques », les « polytechniciens »…).
Plus globalement, le jugement qui est porté sur une personne est souvent assimilé à la culture qu’elle incarne : les livres qu’elle lit, les musiques qu’elle écoute, les vêtements qu’elle porte, les lieux qu’elle fréquente… Les signes de la « culture légitime » créent souvent et instantanément des distinctions cruelles entre les individus.
Ce phénomène de « distinction », je l’ai vécu douloureusement en hypokhâgne[1].
Et puis je suis repassée « du côté obscur », celui de l’université : fac d’Histoire, de Science politique, de Sociologie et de Psychologie.
J’ai obtenu beaucoup de diplômes (deux DEUG, deux licences, deux Masters et un Doctorat), du plus haut niveau, et j’ai même publié un livre. Pourtant, les félicitations du jury au moment de ma soutenance de thèse n’ont su effacer ni le mépris dont je m’étais sentie victime en classe préparatoire, ni le plaisir que j’avais ressenti à apprendre librement, juste pour le plaisir, quand j’étais enfant.
Apprendre ensemble
Depuis que j’ai terminé mes études, j’ai continuellement travaillé, à la fois comme enseignante et comme psychologue. J’ai ainsi confirmé et affirmé mon goût pour la rencontre avec les autres, pour la recherche et pour la transmission.
Lorsque je travaillais comme psychologue de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, je proposais aux jeunes que j’accompagnais de rechercher ensemble ce qui les avait conduit à poser les actes délinquants à l’origine de leur placement par le Juge des enfants. Il s’agissait d’un cheminement commun. Car je ne savais jamais, a priori, ce qui dans leur histoire les avait mené jusqu’à ce centre de placement immédiat. Et c’est par le biais d’un apprivoisement mutuel que nous pensions, pas à pas, le sens de leurs actes, le sens de leur vie et ce qu’ils désiraient finalement pour eux-mêmes dans l’avenir.
Par la suite, j’ai travaillé quatre années comme formatrice dans une école d’éducateurs. Je revenais donc dans une institution « scolaire ».
Mais l’école où j’étais incarnait un projet d’éducation populaire particulièrement revendiqué, tant par les professionnels que par les étudiants.
La majorité de ces derniers étaient des adultes qui reprenaient des études après des années d’exercice professionnel dans le champ du travail social. Beaucoup avaient une histoire compliquée avec l’école (redoublements, échec, exclusion…). Là encore, le rapport à l’apprentissage était contrarié et il fallait prendre le temps de s’apprivoiser mutuellement, entre formateurs et étudiants. Certains également n’avaient aucun diplôme, et se trouvaient très déstabilisés face aux exigences imposées : devoirs sur table, lectures théoriques, mémoire de 60 pages à écrire.
Dans ce contexte, j’ai très rapidement ressenti l’envie de mettre mon énergie au service de la réussite au diplôme de tous, quelles que soient leurs difficultés. Il fallait à la fois les aider à restaurer une « image scolaire » positive d’eux-mêmes et intégrer les attentes auxquelles ils allaient devoir se soumettre pour répondre aux exigences du diplôme : l’orthographe, l’écriture, les lectures…
Comprendre l’obstacle en ressentant les choses comme l’autre les ressent
Lorsque vous êtes enseignant, vous pouvez vous contenter de donner une appréciation générale plutôt évasive lorsque vous évaluez la production d’un étudiant. La note que vous attribuez et votre commentaire sont censés lui permettre de mesurer la « qualité » de ce qu’il a rendu, compte-tenu des attentes « supposés justes » de l’épreuve.
Mais vous pouvez également vous atteler à un autre projet : celui de clarifier « ce » qui concrètement ne conviendrait pas dans le travail rendu. Il s'agit alors d'argumenter ses commentaires, et d'amener l’étudiant à s’approprier une démarche explicite qui lui permettra de progresser.
Pour ce faire, il faut avoir une très bonne maîtrise des attendus de l’exercice, mais également des étapes à franchir pour acquérir la démarche requise pour, par exemple, problématiser un sujet, construire un plan ou encore sélectionner les connaissances pertinentes pour les articuler à une argumentation.
Un enseignant peut ainsi être en mesure de parfaitement évaluer un devoir, donner un exemple concret de ce qu’il faudrait faire ou écrire pour répondre aux exigences, mais ne pas savoir comment transmettre une démarche de progression adéquate en fonction des difficultés spécifiques rencontrées par un étudiant.
Il s’agit en effet d’un autre travail, qui vise à mesurer, de la place et du point de vue de l’étudiant, ce qu’il n’a pas compris. Il s'agit également de l’amener à en prendre conscience en prenant en compte sa « manière d’apprendre ». Car nous avons tous nos stratégies d’apprentissage spécifiques…qui collent plus ou moins bien aux manières d’enseigner des enseignants qui croisent ou ont croisé notre route.
Apprendre est (et doit être pour moi) un plaisir. Cela ne veut pas dire que cela se fait sans effort ou remise en question. Mais il faut que l’émerveillement fasse partie du voyage.
Il y aura toujours des personnes qui auront de meilleures notes que d’autres, mais progresser est à la portée de tous
Je voulais que les étudiants que j’accompagne aient confiance en leur potentiel, et qu’ils croient en leurs capacités à réussir. Je voulais également être en mesure de déconstruire suffisamment les attentes de l’institution scolaire, pour les leur transmettre de manière explicite.
S’ils voulaient progresser, je ferais tout ce qui était en mon pouvoir pour les y aider.
Il n’était pas question de les « assister ». La plupart étaient d’ailleurs très attachés à leur liberté de penser par eux-mêmes. Je ne faisais « que » les accompagner dans le travail de mise en valeur de leurs idées et de leur expérience.
Mais rédiger des mémoires, articuler sa pensée à des lectures théoriques et composer des devoirs sur table n’étaient pas des exercices nouveaux pour moi.
Je ne peux pas en dire autant des exigences auxquelles doivent se soumettre les étudiants que j’accompagne actuellement en école d’ingénieurs.
Comprendre, mémoriser, réfléchir
Comment prendre en notes un cours de maths ? Comment réviser efficacement un examen de chimie ? Comment dépasser ses difficultés en algorithmie ?
Euh…
Chargée d’accompagner des étudiants en première année d’école d’ingénieurs, je n’ai plus pu compter sur ma connaissance des matières enseignées.
J’ai donc passé de longues heures à discuter avec les enseignants, ainsi qu’avec les étudiants, pour appréhender les difficultés concrètes que les uns rencontraient, et les attentes précises qui animaient les autres.
C’est ainsi que j’ai développé mes compétences pédagogiques, et non plus didactiques. C’est-à-dire que je me suis plus globalement intéressée aux « stratégies d’apprentissage » mobilisées dans le cadre des études supérieures, indépendamment de la discipline à laquelle ces stratégies étaient appliquées.
J’ai découvert les travaux d’Antoine de La Garanderie (Les profils pédagogiques) et les livres de Tony Buzan (Une tête bien faite, Booster sa mémoire, La lecture rapide, Dessine-moi l’intelligence…). J’ai lu avec beaucoup d’intérêt le livre de Guy Sonnois intitulé Accompagner le travail des adolescents avec la pédagogie des gestes mentaux, qui m’a permis d’envisager comment adapter les enseignements théoriques de La Garanderie aux problématiques que les étudiants rencontrent dans le cadre des études supérieures.
Ce sont ces lectures, confrontées à l’expérience d’accompagnement que je mène auprès des étudiants de l’école d’ingénieurs où je travaille, qui m’ont amenée progressivement à accorder à la mémoire une place centrale.
Et c’est en lisant les ouvrages de Tony Buzan que je me suis initiée progressivement à l’usage des procédés mnémotechniques. J’ai ainsi organisé et dispensé des cours spécifiquement axés sur la manière d’exploiter sa mémoire pour mieux apprendre. Mais je me suis rapidement confrontée à quelques difficultés…
Les procédés mnémotechniques tels qu’ils ont été inventés par les Grecs sous l’Antiquité, et repris par les mnémonistes dans les grands concours de mémorisation organisés aujourd’hui partout à travers le monde, posent un problème fondamental à tous ceux qui ont pour objectif de les utiliser dans le but de « mieux apprendre » : ils déconnectent le processus de mémorisation du processus de compréhension du contenu.
Joshua Foer, dans son livre Voyages au cœur de la mémoire (2012), met particulièrement bien cet écueil en évidence. C’est également la difficulté que rencontrent toutes les personnes qui cherchent à utiliser le « Grand système » ou le « système PAO » pour travailler leurs cours de psychologie, de mathématiques ou de communication.
Si vous souhaitez vous préparer à un concours de mémoire (mémoriser des jeux de cartes, des suites de nombres aléatoires ou des noms associés à des visages), vous pouvez utiliser les procédés mnémotechniques que je présente sur le blog tels quels.
Par contre, si vous voulez mettre votre mémoire au service de vos capacités de compréhension et de réflexion, certains ajustements sont nécessaires.
Et c’est justement ce travail d’ajustement que je me propose de faire avec vous dans le cadre de ce livre.
[1] En France, première année d’un cycle de deux années préparant aux concours des Ecoles Normales Supérieures.