Cet article a été écrit par Yann VERCHIER, auteur du blog Pedagoblog.fr
Au détour de couloirs, il m’arrive souvent d’entendre des étudiants émettre des avis très critiques sur le cours qu’ils ont tout juste suivi : « c’était ennuyeux, je n’ai rien compris et ça allait trop vite, j’ai passé mon temps à recopier les diapos … ». Et de comparer cela aux éléments échangés entre enseignants qui se plaignent de la passivité des étudiants …
Deux mondes qui ont du mal à se comprendre et qui, quand on les questionne, répondent à plus de 60% pour les enseignants que les étudiants sont "consommateurs, passifs, distraits ou bruyants"[1] tandis que quasiment 56% des étudiants pensent que plus de la moitié des enseignements pourraient être acquis en autonomie[2].
Et finalement, que reste-t-il de tout cela en termes d’apprentissages ? Quelle est la pertinence de nos modes d’enseignement universitaire encore à l’heure actuelle très transmissifs ?
Regroupés sous le terme anglo-saxon d’« active learning », il a été montré que les dispositifs interactifs et participatifs favorisent la réussite des étudiants[3]. Dans le cas d’une comparaison entre cours magistraux purement transmissifs et cours interactifs, les étudiants qui suivent des cours « traditionnels » sont 1,5 fois plus susceptibles de rater leurs examens que ceux qui suivent des cours plus stimulants.
Et cela est tout à fait logique d’un point de vue cognitif. En effet, lorsqu’une nouvelle information nous est proposée, elle n’a pas de sens ou ne « fait » pas sens tant qu’elle n’a pas été confrontée à nos savoirs, raisonnements, procédures déjà emmagasinés dans notre mémoire. Et lorsqu’un apprenant est passif (et de surcroît de moins en moins attentif), le processus cognitif de confrontation nouvelle information/mémoire à long terme n’est pas assez opérant voire pas du tout mis en œuvre. L’apprentissage n’est donc pas efficace.
D’où l’intérêt pour l’enseignant de mettre les étudiants (apprenants au sens large) en action.
Selon le format d’enseignement (cours en grand effectif, disposition contrainte d’un amphithéâtre, travaux dirigés avec tables mobiles, formation à distance …) de multiples solutions se présentent à l’enseignant pour mobiliser l’apprenant.
En Suisse, l’EPFL a massivement déployé des boitiers de vote nommés « clickers » qui permettent, lors de pauses au sein d’un cours, de soumettre des questions aux étudiants afin de vérifier leur degré de compréhension. La réponse peut être individuelle ou collective si l’on propose à de petits groupes d’étudiants de réfléchir collectivement. Les résultats sont affichés en temps réel et si la réponse n’est pas celle attendue, il est alors possible d’entamer une discussion en grand groupe afin de comprendre la source de l’erreur, ou bien de réunir plusieurs demi-groupe pour une explication entre pairs.
Dispositif pédagogique mis en place dans un établissement d'enseignement supérieur avec l’outil en ligne Mentimeter
Ce dispositif fait aussi intervenir l’apprentissage par les pairs (« peer instruction »), conceptualisé dans les années 90, qui a montré son efficacité.
Si l’on s’intéresse à la dynamique de travail durant une séance de travaux dirigés, on s’aperçoit que la plupart des étudiants recopient des corrections, situation d’apprentissage non stimulatrice de l’intellect. Pourquoi ne pas les mettre en petits groupes afin d’établir collectivement une solution ? « Parce qu’ils ne vont pas travailler ! » me répondent assez spontanément certains collègues.
Eh bien c’est tout à fait le contraire. Pour l’avoir testé à maintes reprises, les étudiants sont bien plus actifs lorsque la correction n’est pas systématiquement notée au tableau. Au sein de chaque groupe, des discussions et débats s’instaurent, ce qui permet à chacun(e) de confronter ses solutions, représentations, raisonnements à celles des autres. Il y a donc une multitude d’approches et de raisonnements à disposition qui permettent d’enrichir sa compréhension. L’enseignant peut alors passer de groupe en groupe afin de guider la résolution et intervenir sous un angle strictement pédagogique (indentification des blocages, conseils personnalisés …). Lorsque l’on interroge les étudiants sur leur ressenti suite à une séance de TD animée de la sorte, il ressort massivement qu’ils ont eu l’impression de « bien plus » travailler.
Enfin, nous pouvons aussi réfléchir à des dispositifs de formation inversée qui permettent de mobiliser les étudiants. Pour cela, il est proposé aux étudiants de travailler avant la séance une partie du cours. Cela peut être fait sous forme de vidéos, de documents, etc. Le cours est alors consacré à discuter des points de blocage ou à approfondir certaines notions. Cette pédagogie inversée permet de déplacer le centrage du savoir, et de consacrer plus de temps à créer un contenu commun.
Ces différentes approches ne sont pas du gadget ou un simple effet de mode, car elles ont montré leur efficacité en rendant l’étudiant acteur de sa formation et en le mettant en situation d’améliorer son expérience d’apprentissage. Reste à faire accepter à l’enseignant de faire évoluer son rôle qui n’est plus d’être la source unique de savoir, et à habituer les étudiants à investir ces nouvelles pédagogies.
[1] Etude réalisée auprès de 129 enseignants du supérieur de disciplines variées via un questionnaire en ligne. I.Di Loreto ; Y. Verchier AIPU 2016
[2] Etude réalisée auprès de 227 étudiants, via un questionnaire en ligne. I.Di Loreto ; Y. Verchier AIPU 2016