Une expérience de ma vie d’adolescente est restée gravée dans ma mémoire comme une douloureuse leçon d’humilité. J’aimerais vous la raconter pour confier les contradictions qui me traversent dans mes relations avec les autres dès qu’un conflit survient, et partager de quelle façon je m'appuie constamment sur mes capacités d'empathie dans le cadre de ma pratique de formatrice (et de psychologue).
J’avais douze ans à l’époque, et je bataillais dur pour décrocher le titre de meilleure élève de la classe. Avec deux camarades, nous formions un trio survolté, solidaire ou divisé, en fonction des résultats scolaires qui mettaient alternativement l’une ou l’autre d’entre nous sur le devant de la scène.
Ce jour-là, une note de français avait réveillé avec force nos rivalités et suite à de multiples péripéties que je ne détaillerai pas, ma meilleure amie en était venue à me gifler. C’est donc avec beaucoup d’émotion que je rapportais le soir même cet épisode à ma mère, qui prit le temps de m’écouter patiemment, et de me questionner comme elle avait l’habitude de le faire. Mais à mesure que notre échange se déroulait, je me sentais de plus en plus mal à l’aise :
- Pourquoi penses-tu que ton amie t’a giflée ? m’a-t-elle finalement demandé.
Je ne comprenais pas sa question. J’étais la victime. Pourquoi fallait-il que je fasse un effort pour me mettre à la place de mon agresseur et réfléchir aux causes de sa violence à mon égard ?
Dans la plupart des situations, ma mère m’engageait à me décentrer de moi-même pour appréhender les évènements de mon quotidien du point de vue des autres. Dès que je critiquais l’attitude d’un enseignant, que je blâmais mon frère aîné pour une dispute ou n’importe lequel de mes amis, elle m’invitait à comprendre leurs motivations. A eux.
Je me prêtais évidemment au jeu, par amour pour elle et pour la satisfaction personnelle que j’en retirais.
Mais pas cette fois-ci.
Dans la situation que je venais de lui rapporter, je pensais amplement mériter le statut de victime et donc son soutien sans faille. Il n’était pas question que j’endosse la responsabilité de cette agression unilatérale et injuste.
Je ne sais plus si j’ai tenté de revendiquer la « primauté d’empathie ». Autrement dit, je ne pense pas avoir instamment demandé à ma mère qu’elle me comprenne, moi, et qu’elle accueille ma détresse, avant de se préoccuper de celle de ma camarade. Toujours est-il que dès le lendemain, je me souviens être allée trouver mon amie pour m’excuser (d'avoir provoqué sa colère, j'imagine).
Je me souviens avoir lu la consternation sur son visage. Elle était mon amie et n'avait pas dû comprendre pourquoi j'étais revenue vers elle pour m'absoudre d'une faute qui était la sienne.
J’avais complètement intériorisé à l’époque que je devais assumer ma part de responsabilité dans mes relations avec autrui, et que reconnaître ses torts était une preuve de courage et d’humilité.
Aujourd'hui, je regrette de ne pas savoir mieux me défendre dans certaines situations, tout en gardant une capacité d’émerveillement intacte quand je vois combien l’empathie à l’égard des autres génère du soulagement, l’apaisement des tensions et la construction de relations harmonieuses sur le long terme.
Cette capacité à se mettre à la place d’autrui pour comprendre ses ressentis, son vécu et sa vision des choses est devenu un outil précieux au service des relations que j’entretiens avec les autres, dans le cadre professionnel comme dans le cadre privé. Elle me conduit cependant parfois à oublier mes propres besoins.
Je suis capable d’empathie parce que j’en reçois suffisamment. Je peux prendre le temps d’écouter et comprendre les autres parce que je prends suffisamment de temps à m’occuper de moi-même, et que je m’entoure de personnes qui prennent soin de moi, de mon besoin de me sentir écoutée, comprise et appréciée telle que je suis, avec mes failles et mes faiblesses.
Quel rapport avec mon travail de formatrice et d'enseignante ?
En septembre 2010, j’ai été recrutée par une université pour y mettre en place un dispositif d’aide à la réussite à destination des étudiants de première année. Du point de vue des enseignants que j’interrogeais pour comprendre le taux d’échec très élevé qui était à déplorer au sein de l’institution, une seule et unique cause était à combattre : la flemme des étudiants, qui étaient incapables de prendre leurs responsabilités et de travailler autant que nécessaire pour réussir.
Du point de vue des étudiants, il fallait blâmer les enseignants, qui dispensaient des cours rébarbatifs, émaillés d’explications obscures et ce, sans enthousiasme. Comme dans de nombreux établissements scolaires, la rupture semblait consommée entre les enseignants et les destinataires de leur action. Plus personne n’était disposé à faire un pas vers l’autre pour comprendre ce qui posait problème et inventer des moyens de sortir de l’impasse.
Dans ces conditions, comment (re)trouver l’envie de déployer son énergie au service d’une amélioration profitable à tous ?
C’est là que j’ai choisi de situer mon combat : trouver comment réconcilier tous les acteurs pour que chacun puisse se sentir à nouveau responsable. Responsable de soi, responsable de ce qui se passe pour les autres et responsable des relations qui nous rendent dépendants les uns des autres.
C'est dans cette perspective que j'ai créé plusieurs outils, que j'utilise aussi bien avec les étudiants qu'avec les enseignants. L'un d'entre eux permet de donner du sens à la démotivation en contexte scolaire.
Comment comprendre le désengagement et la procrastination ?
Cet outil permet aux étudiants de donner du sens à leurs difficultés et aux enseignants de développer leurs capacités d'empathie, mais également d'action. Car identifier les causes d'un problème permet également de prendre conscience des leviers à sa disposition pour lui trouver des solutions.
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