Mémoire de Master : comment faire le compte-rendu d’un ouvrage théorique ? Partie 1

 

Bonjour, 
 
Je vous remercie beaucoup pour l’intérêt que vous portez à ma difficulté. Je recherche une méthode que je qualifierais de scolaire pour rédiger un compte-rendu. En effet, je recherche une méthode qui m'explique comment procéder, pas à pas :
– Le type de lecture à privilégier,
– Quoi noter sur le brouillon,
– Comment structurer mon compte rendu : trouver un plan ou plutôt suivre les parties de l'ouvrage ?
– Quel mode et temps choisir, faut-il écrire à la 3 pers du singulier ou la première etc…
En ce qui concerne l'exemple concret, je pensais a l'ouvrage de Pierre Bourdieu Langage et pouvoir symbolique, qui a une longue préface de John Thompson de 50 pages et 4 parties…je trouve cet ouvrage ardu, c'est pourquoi j'aimerais pouvoir l'appréhender méthodiquement et en écrire un compte rendu (de lecture) clair.
 
A bientôt,
Céline  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans le cadre de mes études universitaires, je n'ai jamais rédigé de compte-rendu d'ouvrage autrement qu'à la demande d'un enseignant. Autrement dit, il fallait que l'exercice soit noté pour que je m'y soumette. J'ai en effet toujours eu beaucoup de mal à m'imposer la rigueur nécessaire à ce type d'exercice dans le simple but de m'approprier l'approche théorique d'un auteur, aussi incontournable soit-il…

Et pourtant.

Voici tout de même les circonstances qui m'ont conduite à rédiger des compte-rendus dignes de ce nom :

– Dans le cadre d'un mini-mémoire (une vingtaine de pages) qui nous était demandé dans le cadre de mon DEA de Sociologie,

Lorsque j'étais chargée de TD en Sociologie générale à l'Université de Villetaneuse (Paris 13), il s'agissait de l'un des exercices imposé aux étudiants et que je devais noter. J'ai donc réalisé le travail moi-même pour en proposer une correction à mon groupe.

– Et finalement sur ce site, puisque je vous propose un certain nombre de compte-rendus d'ouvrages…

 

Une autre raison qui m'aurait amenée à rédiger intégralement le compte-rendu d'un ouvrage aurait été sa publication dans une revue. Les personnes qui ont le projet de postuler à des postes d'enseignant-chercheur à l'Université savent de quoi je parle, puisque le nombre de publications dans des revues à comité de lecture constitue l'un des critères dans la sélection des dossiers… 

 

La première question que je poserais est donc la suivante : quel est l'intérêt de rédiger le compte-rendu d'un ouvrage théorique ?

Car je dois reconnaître que même si je l'ai finalement rarement fait, cela m'a chaque fois beaucoup apporté. 

Il faut du temps pour rédiger un compte-rendu de qualité, car cela demande de :

– lire le texte,

– cerner sa structure,

– identifier les prérequis nécessaires à sa compréhension,

– clarifier les passages compliqués,

– réaliser un travail de synthèse,

– restituer les notions complexes avec ses propres termes,

– trouver les tournures de phrases et le vocabulaire adéquats,

– contextualiser le propos,

– discuter les arguments de l'auteur,

– etc.

Et tout ce travail de réflexion, de compréhension et d'écriture est d'autant plus ardu à réaliser que l'on s'attaque à un ouvrage dont on ne maîtrise pas le champ disciplinaire ou les notions théoriques. L'objectif est alors de fournir les efforts nécessaires pour se familiariser avec eux, combler ses lacunes et ainsi avoir accès à une compréhension claire du contenu.

Mais cet exercice, s'il a un coût (en terme de temps et de travail), octroie des bénéfices certains. Vous allez ainsi créer des liens logiques qui vous permettront d'inscrire votre compréhension de la théorie abordée dans votre mémoire à long terme. Vos recherches vont vous amener à mieux la comprendre, et donc à pouvoir la réutiliser dans des contextes ultérieurs : la rédaction d'une dissertation ou d'un mémoire par exemple.

Vous pourrez penser en articulant ces apports à votre propre réflexion.

 

Les freins à la réalisation de ce type d'exercice

Nous avons tous des motivations différentes lorsque nous étudions ou que nous lisons un ouvrage théorique.

Certaines personnes aiment "apprendre pour apprendre". Le fait de découvrir des champs de connaissances nouveaux est en lui-même une expérience recherchée. Parfois, le plaisir d'apprendre se suffit à lui seul.

Ce n'est pas mon cas. J'ai besoin de pouvoir envisager sur l'instant l'usage que je pourrai faire de ce que j'apprends. Il faut que ce que je lis me soit utile, ou que je puisse d'emblée le mettre en lien avec une expérience passée, présente ou à venir afin qu'il ait un sens pour moi. En définitive, j'ai besoin que ma lecture réponde à ou fasse émerger un questionnement.

De ce fait, j'abandonne beaucoup de livres en cours de lecture, et ce, même si je les trouve très bons. J'ai par exemple commencé et abandonné la lecture ces derniers mois de Story de Robert McKee, un livre génial dans lequel l'auteur présente les principes de l'écriture d'un scénario, ou encore de Dessiner grâce au cerveau droit de Betty Edwards, un livre également exceptionnel dans lequel l'auteur, professeur de dessin, expose la démarche qu'elle a construite pour apprendre à n'importe qui à dessiner. Ces deux ouvrages sont vraiment passionnants. Pourtant, je me suis arrêtée à la moitié, me disant que je les reprendrai plus tard…

Pourquoi ? Parce que je n'ai pour l'instant aucune idée de la façon dont je vais pouvoir les réutiliser.

Je dois avouer que cette logique particulièrement utilitariste me déprime un peu. Je crois que j'aimerais pouvoir m"intéresser à tout, juste par curiosité, et parce qu'un jour, peut-être, cela me permettra de penser une situation ou résoudre un problème de manière inédite. Mais je n'y arrive pas. L'ouvrage me tombe des mains que je le veuille ou non.

Cela me fait d'ailleurs penser à toutes ces bonnes paroles que l'on sert aux étudiants lorsqu'ils se plaignent qu'un enseignement leur paraît inutile : comment pouvez-vous savoir aujourd'hui que ce que l'on vous enseigne ne vous sera pas utile un jour ? Et votre culture générale ? Et votre ouverture d'esprit ? Votre posture d'étudiant ne vous inviterait-elle pas à un peu plus d'humilité vis-à-vis de ces savoirs illustres qui vous sont dispensés ?

Pour ma part, je n'arrive pas à me résoudre à dispenser un enseignement dont je ne serais pas capable de justifier l'utilité. J'ai besoin qu'une rencontre ait lieu avec les étudiants, et qu'ils envisagent l'intérêt de ce que je leur présente, même si cela ne les intéresse pas spontanément au moment où je leur en parle. Je m'attache alors en premier lieu à susciter chez eux un questionnement. 

Mais si je n'ai pratiquement jamais fait de compte-rendus d'ouvrages pendant mon Master et mon Doctorat de Sociologie, mon Master de Psychologie et ensuite pendant mes années d'enseignement…quelles démarches ai-je adoptées pour m'approprier des ouvrages théoriques ?

 

Que pouvez-vous faire d'autre qu'un compte-rendu pour vous approprier l'approche théorique d'un auteur ?

Des Mind maps, des groupes de travail, des recherches ciblées…

 

1- Des mind maps

Voici tout d'abord une présentation rapide de cet outil pour ceux qui ne le connaissent pas.

J'ai commencé par faire une mind map en préalable à la rédaction de la plupart des compte-rendus d'ouvrage que je propose sur ce site. Cela me permet d'avoir une vue claire de la structure du propos de l'auteur.

Le choix des mots et concepts-clés m'aide à concevoir des liens logiques entre les idées. Ensuite, la synthèse écrite est facilitée : je ne crains pas de recopier des passages entiers du livre (puisque je n'ai que des mots-clés, je reconstruis mes propres phrases) et la vue d'ensemble de chaque chapitre me permet d'aller plus rapidement à l'essentiel.

J'ai par ailleurs choisi les exemples ou illustrations qui m'ont le mieux aidée à comprendre le propos de l'auteur.

 

2- Des groupes de travail

Après avoir obtenu mon diplôme de psychologue et soutenu ma thèse de sociologie, j'ai commencé à chercher du travail. Et comme j'avais choisi les deux cursus d'études qu'il faut choisir si on veut être certain de ne pas trouver de débouchés, je reconnais que j'ai rencontré quelques difficultés…

J'ai alors passé le concours de psychologue de la Protection Judiciaire de la Jeunesse…que j'ai réussi ! J'ai été affectée dans un Centre de Placement Immédiat dans le département de l'Ain, et comme il s'agissait d'un poste de fonctionnaire, j'ai bénéficié (avec les 18 autres psychologues de ma promotion), d'une formation d'adaptation pendant la première année.

Mon travail consistait à rencontrer en entretien des adolescents de 15 à 18 ans, placés en alternative à l'incarcération. Je participais également aux réunions d'équipe et je devais rédiger des écrits à destination du Juge des Enfants. J'avais 26 ans et je dois reconnaître qu'une formation universitaire ne suffit pas à vous préparer à ce type d'exercice. C'est là également que vous réalisez que lorsque l'on travaille ses cours "uniquement pour l'examen", il n'en reste pas grand chose quelques années plus tard.

Aujourd'hui (10 ans plus tard), je me dis que j'aurais dû m'impliquer davantage dans ma formation, et profiter de mes années en tant qu'étudiante pour m'intéresser à plus de choses, lire plus d'ouvrage, approfondir davantage les cours qui nous étaient dispensés.

Ceux qui me restent le plus en mémoire sont les enseignements qui m'ont passionnée au point de faire mes propres recherches pour me les approprier, les discuter, les mettre en lien avec des exemples pratiques…et puis bien sûr mon mémoire de master de Psychologie (en lien avec mon stage de fin d'études), et ma thèse de Sociologie (pour laquelle j'ai lu, réfléchi et écrit pendant cinq années…de mon Master 1 jusqu'à la fin de mes trois années de Doctorat).

Comment continuer à vous former après la fin de vos études ?

Voici la préoccupation qui nous a toutes animées lors de notre prise de poste à la PJJ. J'ai ainsi participé à la constitution avec quatre collègues d'un "groupe théorique".

Nous proposions l'une après l'autre un texte sur lequel nous souhaitions travailler (sur les thématiques de la délinquance, du passage à l'acte, du traumatisme, etc.). Nous devions le lire attentivement pour la séance prévue, et nous passions ensuite une à trois heures à discuter ensemble de ce que nous avions compris (ou pas), et des liens que nous pouvions faire entre la théorie abordée et l'expérience clinique que nous avions.

Cette approche m'a beaucoup apporté : le travail en groupe permet de ne pas rester seule face à ses difficultés de compréhension, la dynamique du groupe est motivante et l'on profite du climat d'entraide qui y règne.

Je lisais le texte en soulignant les passages dont je souhaitais reparler (soit pour poser une question, soit pour évoquer une réflexion clinique ou théorique), et je notais mes réflexions dans la marge.

 

3- Des recherches ciblées

Voici enfin la démarche que j'ai adoptée pendant ma thèse.

Dans le cadre d'un écrit universitaire, il est en effet demandé d'articuler sa pensée à celles d'autres auteurs, de situer son approche dans le champ disciplinaire (et les apports théoriques) auquel on se réfère, voire de faire la somme de toutes les recherches qui ont été faites par d'autres avant nous sur le sujet que nous avons choisi de traiter.

Pour ma part, je n'ai pas proposé de première partie de thèse ayant pour objectif de synthétiser l'ensemble des recherches ayant un rapport (de près ou de loin) avec ma thématique. Je me suis clairement située dans un champ théorique plutôt récent (la sociologie clinique) et j'ai passé du temps à présenter mon terrain (McDonald's) et les hypothèses explicatives afférentes à ma problématique (Comment comprendre que tant d'employés adhèrent à la culture d'entreprise chez McDonald's ?).

Comment m'y suis-je prise pour aborder la théorie des auteurs sur lesquels je me suis appuyée (Max Weber, Vincent de gaulejac, Eugène Enriquez, Nicole Aubert, Janine Chasseguet-Smirgel, Sigmund Freud, Jacques Lacan…) ?

J'ai lu leurs ouvrages en recherchant ce qui allait pouvoir donner du sens à la question de recherche que je me posais.

J'avais une question précise, un problème que je voulais dénouer, et je lisais en traquant ce qui allait m'être "utile". De ce fait, je soulignais les passages qui me semblaient particulièrement pertinents à discuter ou à intégrer à ma réflexion : je ne cherchais pas à maîtriser l'ensemble de l'ouvrage mais à comprendre et discuter ce qui avait un lien avec ma recherche.

Dans le cadre de ma thèse, j'ai donc synthétisé certaines notions, certains passages de textes ou d'ouvrages, mais uniquement parce qu'ils me permettaient de mieux comprendre mon sujet. Un compte-rendu formel n'était pas le préalable à l'utilisation des arguments de l'auteur. Les deux processus étaient simultanés.

 

Concrètement, comment s'y prendre pour rédiger un compte-rendu d'ouvrage théorique ?

Bien. Maintenant que je vous ai énoncé toutes les bonnes raisons qui m'ont amenée à tout faire sauf des compte-rendus formels pendant mes études, je vais tout de même commencer à répondre à la question que Céline me pose dans son message. Si on souhaite le faire, comment faire concrètement ?

Je vais proposer une deuxième partie à cet article en illustrant mes propositions par un exemple concret (à partir du livre Langage et pouvoir symbolique de Pierre Bourdieu, suggéré par Céline et que je suis en train de relire pour l'occasion).

Je vous propose ici de commencer par vous poser différentes questions. Car, comme c'est également le cas pour toute "méthodologie de travail" qui pourrait vous être proposée, ce sont les questions que vous vous posez et les réponses que vous arrivez vous-mêmes à construire qui comptent. La "démarche claire" que je vous présenterai aura besoin d'être ajustée à votre profil pédagogique, à votre personnalité, à ce que vous pensez être juste…

Je commence par les questions de Céline :

Quel type de lecture privilégier ?

Tout dépend de votre objectif :

– Souhaitez-vous découvrir un auteur ?

– Souhaitez-vous vous approprier une oeuvre considérée comme "majeure" ou fondatrice dans votre discipline ?

– Souhaitez-vous faire le compte-rendu d'un ouvrage parce qu'il aborde une question que vous vous posez (pour votre mémoire, pour un cours, pour vous-même…) ?

Quel est par ailleurs votre connaissance préalable du champ disciplinaire dans lequel se situe l'ouvrage que vous pourriez éventuellement choisir ?

– Souhaitez-vous approfondir vos connaissances ?

– Souhaitez-vous découvrir une nouvelle approche ou de nouveaux concepts ?

– Quels sont les pré-requis nécessaires ? Un auteur inscrit lui-même sa réflexion en articulation avec les approches théoriques d'autres que lui : connaissez-vous les références qu'il cite ? Celles-ci sont-elles anecdotiques ou essentielles ? Il se peut que vous deviez faire des recherches préalables avant même de lire le livre que vous avez choisi…

 

Que faut-il noter sur son brouillon ?

– Vous faut-il nécessairement un brouillon ?

– Si votre brouillon vous permet de compiler les informations qui vous permettront ensuite de rédiger votre compte-rendu : quoi noter ?

J'ai évoqué l'usage que j'avais fait des mind maps pour rédiger les compte-rendus publiés sur ce site. A quoi cette étape m'a-t-elle servie ?

 

Comment structurer son compte-rendu ?

– Faut-il nécessairement reprendre le plan de l'ouvrage ?

– Un compte-rendu doit-il reprendre fidèlement la pensée de l'auteur ou peut-on s'en éloigner ? Comment et pourquoi ?

– Peut-on s'autoriser à critiquer l'auteur dans un compte-rendu ? Le plan qu'il a choisi est-il ainsi le plus judicieux ?

– Si l'on souhaite s'approprier la pensée d'un auteur, ne doit-on pas justement s'affranchir du texte initial pour le réorganiser à sa façon ? Mais selon quelle logique ? Et pour atteindre quel objectif ?

 

Quelles sont les consignes académiques de rédaction d'un compte-rendu ?

– Doit-on obligatoirement proposer un plan qui présenterait successivement la synthèse du livre, suivie d'une discussion critique ? Existe-t-il d'autres plans possibles ?

– Comment s'y prendre pour critiquer les auteurs fondateurs d'une discipline ? Est-ce seulement possible, surtout lorsque leurs enseignements sont présentés comme "incontournables ou magistraux" dans les cours que l'on suit par ailleurs ?

– Et au niveau de la forme : quel temps employer ? Doit-on écrire à la première personne du pluriel ou du singulier…voire à la troisième personne…

 

Les réponses et la suite dans la partie 2

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