Je suis en train d’écrire un livre qui devrait sortir en août 2019 aux éditions Vuibert sur le sujet suivant : Apprendre à apprendre, s’organiser, se motiver et s’orienter tout au long de la vie. Et je viens de consacrer un long passage à la question de la prise de notes.
Je le partage avec vous. Vous en pensez quoi ?
L’épineuse question de la prise de notes
Je rencontre régulièrement des enseignants qui se plaignent que les étudiants ne savent pas prendre de notes.
Ils ne noteraient rien, ne noteraient pas ce qu’il faudrait ou prendraient des notes accumulant des erreurs grossières. Il faudrait selon eux (ré)apprendre aux étudiants à prendre des notes. Pour ce faire, des méthodes telles que la méthode Cornell[1]sont proposées aux étudiants. Et le conseil récurrent que ces méthodes mettent en avant est le suivant : il faut noter « les idées principales », « les mots-clés », « les articulations logiques ».
Vous souvenez-vous de vos premiers cours théoriques dans le cadre de vos études supérieures ? C’est une question que je pose aux enseignants dans le cadre des formations que j’anime. Eh bien moi, je m’en souviens très bien (mais eux aussi, rassurez-vous). J’avais un cours en psychologie clinique dont le sujet était « l’informe ». Et je reconnais humblement aujourd’hui que je ne comprenais pas grand-chose. Tout ce que j’étais en mesure de faire durant l’heure de cours en amphithéâtre, c’était noter mot à mot le plus de choses possible en me répétant en boucle dans ma tête, pour me rassurer : « tu comprendras plus tard ». Je sais que dans le cadre des cours magistraux, où les étudiants suivent des enseignements peu interactifs, denses et complexes (parce que les sujets abordés et parfois même la discipline enseignée est tout à fait nouvelle pour eux), beaucoup d’étudiants se répètent cette même phrase. Et de deux choses l’une :
- Soit ils notent à toute vitesse le maximum d’informations. Ils ont alors davantage l’impression de suivre une formation de sténodactylo qu’un enseignement de psychologie, de droit ou de biologie moléculaire. En réalité, ce qu’ils apprennent alors, c’est à écrire le plus vite possible.
- Soit ils ont la possibilité de retrouver le contenu du cours ailleurs (polycopié, diaporama ou livre écrit par l’enseignant, notes d’un autre étudiant) et ils posent leur stylo pour tenter de comprendre ce que raconte leur professeur à mesure qu’il discourt : ils évoquent les informations dans leur tête autant que possible et essayent de cerner les articulations logiques de sa démonstration. Ils s’autorisent parfois quelques questions (mais seulement si c’est bienvenu).
Ce que j’essaye d’expliquer, c’est qu’identifier les informations-clés et la logique argumentative d’un discours à mesure qu’il est énoncé suppose des opérations mentales complexes et un recul critique certain. Si vous ne parvenez pas conjointement à évoquer les informations, à leur donner du sens, à sélectionner les mots-clés, à les organiser et à les noter sur votre feuille, ce n’est pas nécessairement parce que vous êtes foncièrement désorganisé. La manière dont l’enseignant déroule son propos a également de l’importance, ainsi que ce que vous savez déjà concernant le sujet abordé.
Plus l’enseignant est lui-même clair et progressif dans son exposé, plus la compréhension et la prise de notes sont aisées :
- Réactivation des apprentissages essentiels du cours précédent pour capter l’attention et aider les étudiants à reprendre le cours de l’enseignement.
- Annonce du plan pour aider les étudiants à structurer le contenu et faciliter la prise de notes.
- Stimulation du questionnement pour éveiller la curiosité.
- Présentation exhaustive des outils (concepts, axiomes, arguments, méthodes de calcul, etc.) que les étudiants sont censés maîtriser : c’est quoi ? A quoi sert-il ? Comment l’utiliser ? D’où vient-il ? Quels sont ses différents contextes d’utilisation ?
- Aller-retour entre les concepts abstraits et des exemples concrets pour favoriser la compréhension et les capacités d’abstraction.
- Utilisation de techniques de pédagogie active qui permettent aux étudiants d’être acteurs de leurs apprentissages (quiz, mises en situation, foire à l’exemple, énigme, etc.[2]), favorisent l’engagement cognitif et par voie de conséquence les capacités de compréhension, de mémorisation et de réflexion.
- Invitation à faire des liens entre les différents cours, entre les cours en amphithéâtre et les séances de travaux dirigés, entre les enseignements abordés et leur utilisation dans le cadre professionnel ou la vie en général.
- Synthèse des principaux apprentissages en fin de séance pour permettre une vue d’ensemble de ce qui a été abordé et annonce de ce qui sera abordé au cours suivant.
Pourquoi prendre des notes ?
C’est peut-être la première question à se poser, avant même de savoir comment faire. A quoi sert-il de garder une trace écrite du discours prononcé par l’enseignant ? Pourquoi même aller tout simplement en cours ? Nombreux sont les étudiants qui se questionnent sur le sujet et qui estiment d’ailleurs avoir mieux à faire que de s’y rendre…
En troisième année de Licence de Science politique, j’étais inscrite à un cours de sociologie générale enseigné par un professeur qui avait écrit un petit ouvrage intitulé « sociologie générale ». J’aime autant vous dire que nous avons tous couru chez notre libraire pour en acheter un exemplaire. Lors du premier cours, l’enseignant s’est assis au bureau et a sorti de sa sacoche une pile de feuilles polycopiées qu’il s’est mis à lire consciencieusement. Surpris, nous avons tous ouvert le petit ouvrage que nous avions apporté, pour découvrir que nous étions en train d’assister à une lecture publique de son contenu. Je me souviens parfaitement de l’équation qui s’est formée dans mon esprit à cet instant précis : tout ce que dit ce prof, mot pour mot, est dans son livre (petit), je n’ai donc pas besoin de venir assister à ce cours, je peux très bien lire ce livre toute seule chez moi pour un résultat équivalent.
Ce premier cours est donc le seul auquel j’ai assisté au cours du semestre. Le week-end qui précédait l’examen, j’ai ré-ouvert l’ouvrage pour apprendre son contenu (eh bien oui, je n’étais pas allée au cours ET je n’avais pas ouvert le livre une seule fois). Cet essai que j’avais trouvé bien court au premier coup d’œil m’a subitement paru beaucoup plus long, dense et complexe que dans mon souvenir. Et j’ai rapidement pris conscience que deux jours n’allaient pas du tout suffire pour en maîtriser le contenu. Mon état de stress n’a fait qu’augmenter au cours du week-end. J’ai lu en diagonale, appris de manière très superficielle et obtenu une note en-dessous de la moyenne à l’examen.
Si c’était à refaire, voici ce que je ferais :
- Je ne raterais aucun cours. Je sais aujourd’hui que je n’avais pas la maturité suffisante pour travaillerpar moi-même de manière régulière. Aller en cours m’aurait permis d’entendre parler de « sociologie générale » chaque semaine tout au long du semestre. J’aurais commencé à organiser le contenu de l’enseignement dans ma tête, à nouer des liens de sens et à fixer différentes informations au fur et à mesure.
- J’aurais mis l’ouvrage écrit par l’enseignant de côté et je me serais forcée à prendre des notes. Cela m’aurait contrainte à focaliser mon attention sur ce qu’il disait et à réaliser toutes les opérations mentales qui favorisent la compréhension : évoquer les informations, me questionner pour leur donner du sens, identifier les liens logiques qui organisent le discours, sélectionner les informations-clés (concepts abstraits, exemples, références d’ouvrages ou d’articles, auteurs-clés) et les noter.
- Si j’avais vraiment été une étudiante sérieuse et passionnée, j’aurais préparé chaque cours en amont, en lisant le chapitre du livre concerné, et repris mes notes après chaque cours pour en élaborer une synthèse que j’aurais complétée en relisant le livre après-coup.
Il existe en définitive trois raisons de se rendre en cours :
- Si l’enseignant a des compétences didactiques indéniables. C’est-à-dire qu’il explique chaque notion au programme de manière limpide, en s’appuyant sur des exemples parlants et des mises en situation éclairantes. Aller en cours vous fait gagner du temps : vous comprenez mieux et plus vite que si vous vous étiez attaqué à son contenu tout seul.
- Si l’ambiance du cours est studieuse et propice à l’étude. C’était le cas dans le cours de sociologie que j’ai suivi. Aller en cours vous permet de travailler régulièrement : vous vous astreignez à étudier chaque semaine, ce qui favorise les capacités de mémorisation. Il vaut mieux travailler un peu régulièrement que beaucoup sur un temps court.
- Si le contenu du cours est inédit. Vous n’avez aucune possibilité de le retrouver ailleurs (diaporama, manuel, polycopié) à moins de devoir produire une synthèse de plusieurs ouvrages et articles scientifiques sur le sujet. Aller en cours vous permet d’avoir accès au contenu de l’enseignement.
Je sais bien, croyez-moi, que chaque argument est discutable. Nous sommes tous redoutables d’inventivité lorsque nous avons pour objectif de nous défaire d’une contrainte que nous jugeons injuste, superflue ou inutile. Certains étudiants allaient au cours une fois sur trois et se repassaient leurs notes. Un autre préférait travailler à la bibliothèque pendant que le cours avait lieu en parallèle, jugeant son temps mieux investi. Et dans le cadre d’un cursus où les absences étaient sanctionnées, j’ai même connu un étudiant qui s’asseyait au fond de l’amphi pour travailler sur le cours qui se déroulait, sans prêter attention aux explications du professeur. Il estimait que le cours était de si piètre qualité qu’il préférait travailler à partir de différents documents trouvés à la bibliothèque. A vous de choisir le stratégie qui vous apparaîtra la plus adaptée à votre situation.
Résumons
Si aller en cours vous permettra le plus souvent de gagner du temps concernant l’étude du contenu d’un enseignement, prendre des notes de manière adaptée vous permettra de préparer le travail que vous devrez fournir ensuite.
Boîte à outils : la prise de notes
Finalement, quelles sont les informations dont vous avez besoin lorsque vous reprenez vos notes aprèsvotre cours ?
Voici celles qui vous permettront de retrouver le contenu afférent de la manière la plus exhaustive possible, afin :
- de lui donner du sens et clarifier les passages qui ne sont pas clairs (travail de compréhension du contenu),
- de gagner en capacité d’abstraction (d’où l’importance de prendre en notes les exemples et illustrations concrètes des notions abordées),
- de cerner les liens logiques qui organisent les informations-clés qui composent le contenu (travail d’association et d’organisation),
- d’approfondir les contenus qui vous intéressent tout particulièrement,
- de construire une synthèse qui vous donnera une vue d’ensemble du contenu (travail de structuration).
Quoi prendre en note quand vous prenez des notes ? | |
Votre objectif | Ce que vous devez noter |
Donner du sens au contenu | Les réponses aux questions : C’est quoi ? Définition.A quoi ça sert ? Utilité.Comment ? Mode d’emploi.Pourquoi ? Démonstration.Avec quoi ? Associations. |
Clarifier les passages qui ne sont pas clairs | Informations-clés à partir desquels vous ferez des recherches complémentaires après-coup : noms d’auteur, noms des concepts, citations, démonstrations, références. |
Gagner en capacité d’abstraction | Les exemples qui illustrent chaque concept abstrait et les cas pratiques qui illustrent l’utilisation d’un nouvel outil |
Cerner les liens logiques qui organisent les informations-clés du contenu | Les connecteurs logiques qui permettent d’identifier la nature des liens entre les différentes informations-clés (conséquence, cause, opposition, illustration, etc.) |
Approfondir les contenus qui vous intéressent | Informations-clés à partir desquelles vous ferez des recherches complémentaires : noms d’auteurs, noms de concepts, références d’ouvrages ou d’articles, etc. |
Construire une synthèse | Titres, sous-titres, nom des outils présentés, information-clés, références |
Lorsque j’utilise la notion d’information-clé, je fais référence à un mot, à une image ou à un symbole qui vous permet de retrouver un contenu associé lorsque vous l’évoquez, soit parce que des informations associées seront stockées dans votre mémoire, soit parce que cela vous permettra de faire une recherche documentaire efficace. Le nom d’un théorème vous permettra de retrouver le théorème associé et sa démonstration dans l’après-coup. Une référence bibliographique vous permettra de consulter l’ouvrage. Pour choisir la bonne information-clé à prendre en note, demandez-vous quelles sont les données dont vous avez besoin pour retrouver un contenu associé plus conséquent.
A la lecture du tableau ci-dessus, vous pouvez vous rendre compte que toutes les informations dont vous avez besoin ne sont pas systématiquement transmises par le professeur dans le cadre de certains cours. Il arrive que l’enseignant ne vous annonce pas le plan, qu’il donne très peu d’exemples ou qu’il ne ne partage aucune de ses références. Je le sais. Je suis désolée.
Mais maintenant, vous savez que ce sont ces informations dont vous avez besoin pour apprendre de manière efficace. Donc, osez poser des questions et/ou mettez-vous en quête d’obtenir ces informations par vous-même.
Je vous suggère d’adopter une technique de prise de notes différente en fonction de votre situation :
- Novice et perdu : la discipline enseignée est complètement nouvelle pour vous. Les explications données par l’enseignant s’appuient sur des prérequis que vous ne maîtrisez pas et vous ne parvenez pas à donner du sens à ses explications à mesure qu’il les présente.
- Soit vous prenez le maximum d’informations en notes, même sans les comprendre, dans le but de les retravailler plus tard à l’aide de ressources documentaires adaptées que vous trouverez sur Internet ou à la bibliothèque.
- Soit vous vous concentrez sur ce que dit l’enseignant pour comprendre un maximum de ses explications pendant le cours et ne notez que les informations-clés qui vous permettront de faire des recherches documentaires après-coup.
Si vous n’avez aucun support de cours à votre disposition (diaporama, manuel ou polycopié fournis par l’enseignant, notes exhaustives d’un camarade), il me semble que la première option est sûrement la meilleure, même si elle vous oblige à noter sans comprendre ce que vous écrivez.
- Amateur et concentré : vous êtes déjà familier de la discipline que vous étudiez, de nombreux liens se forment dans votre esprit à mesure que l’enseignant déroule ses explications et vous maîtrisez les prérequis nécessaires à la compréhension du contenu. Vous donnez du sens aux explications à mesure que vous en prenez connaissance. Dans ce cas, la méthode Cornell est faite pour vous. Prenez en notes les informations-clés qui vous permettront d’approfondir vos connaissances à l’issue du cours, ainsi que les articulations logiques qui vous permettent quasiment instantanément de construire une vue d’ensemble structurée du contenu (par exemple, sous la forme d’une carte mentale, dont je vous présente la démarche ci-après).
- Expert et critique : vous connaissez déjà la majorité du contenu présenté et adoptez d’emblée un regard et une écoute critiques concernant les arguments exposés. Je vous suggère de ne prendre en notes que les éléments nouveaux que vous souhaitez approfondir par la suite et de vous concentrer sur les réflexions, les questionnements et les associations que ce que vous entendez génèrent en vous. Le cours ou la conférence à laquelle vous assistez vous permet de laisser libre-cours à votre imagination et au développement de votre esprit critique. Profitez !
[1]En voici une présentation de qualité : https://fr.wikihow.com/prendre-des-notes-en-suivant-la-méthode-Cornell
[2]Je vous propose une liste de plus d’une centaine de ces techniques à cette adresse : http://transmission.donnezdusens.fr/sources-dinspiration/
Merci Hélène! J’ai enseigné ce semestre la prise de note et j’aurais été plus efficace dans ma transmission avec tes conseils précis et pertinents comme toujours. Je les garde précieusement pour la prochaine fois!
Les humains terrestres sont non seulement plus intelligents, mais ils sont aussi plus humains et généreux que les frères en Christ.
Je crois que les vivants peuvent être morts et que les morts peuvent être vivants, mais dans un sens complètement différent de celui que croient les protestants et les catholiques. Il y a aussi un film https://coflix-tv.net/ à ce sujet…