Dans la première partie de cet article, je vous invitais à vous poser des questions pour transformer un sujet en problème à résoudre (= problématiser).
Dans la deuxième partie, je vous ai proposé une méthode pour analyser un sujet de dissertation en vue de construire une problématique.
Dans la troisième partie, mon objectif était de faire la distinction entre "connaissances" et "méthodologie". Vous pouvez avoir les premières et ne pas maîtriser la seconde, et réciproquement. Vous pouvez analyser de manière très pertinente le sujet posé, et ne pas être en mesure de convoquer des connaissances (auteurs, citations, faits historiques, expériences…) qui vous permettront de construire vos arguments, et donc votre dissertation.
Dans cette quatrième partie, mon projet est de vous guider dans l'élaboration d'un plan et d'une problématique, une fois que vous avez synthétisé vos connaissances sur un sujet donné.
Pour ce faire, je vais partir du commentaire que nous a laissé Saïda dans un article précédent (merci à elle !!!) :
"Bonsoir,
J’ai de grosses difficultés pour problématiser un sujet. Je vais essayer de déconstruire ma réflexion afin de bénéficier de vos conseils:
« Que sommes-nous condamnés à apprendre ? »
Le pronom personnel « nous », met en évidence l’idée qu’il existerait un savoir (« apprendre ») commun (déjà se pose la question de savoir s’il existe un socle commun de connaissances valable pour la communauté humaine? Un groupe?)
« apprendre »= savoir/ savoir-faire/ prendre connaissance
« condamnés » (terme polysémique) = idée d’une sentence/ d’une fatalité. Ici, ça serait l’idée de l’absence de choix de la part du sujet, d’obligation+ risques dans le cas où il chercherait à y déroger
Présupposés: il existerait une somme de connaissances et/ou de savoirs-faire que les individus doivent acquérir sous peine d’en supporter des conséquences dans la mesure où elle lui serait indispensable.
Critères dont dépend la réponse: type de savoirs, qui fixe ces impératifs (de quel point de vue on se place), nature/ norme, validité dans le temps et l’espace, non applicable à tous
Arguments: apprendre à communiquer pour répondre à un besoin vital (théorie de l’attachement) sous peine de développer des souffrances psychiques/ d’un savoir-faire pour gagner sa vie sous peine de se précariser/ des règles de savoir-vivre (à l’école, par exemple) sous peine de porter atteinte au vivre-ensemble.
Ces exemples posent une limite au sujet: ce que l’on doit acquérir varie en fonction des individus et du temps (de la norme, en fait), mais également des événements.
Arguments: Les règles et les lois diffèrent d’une société à l’autre et d’une époque à une autre. Elles relèvent du conventionnel et non du naturel / en temps de guerre, les individus doivent développer des logiques de survies/ le savoir-faire est variable d’une personne à une autre
Cette notion de nécessité, d’obligation associée à la norme n’induirait-elle pas une certaine idée de l’ordre et du conformisme ? Ne sommes nous pas plutôt conditionner à accepter de « servir » le système qui définit les « savoirs » qui lui permettent de survivre ?
le système scolaire comme variable d’ajustement: développer des savoirs en fonction des besoins économiques du système/ la culture au service du pouvoir: exemple du classicisme, esthétique liée au pouvoir du roi et de la Bataille d’Hernani comme symbole de la lutte des romantiques contres les normes
Bon, j’ai essayé de développer un maximum (pardon pour la longueur) afin que vous puissiez évaluer mon raisonnement.
Merci par avance des conseils que vous pourrez me prodiguer
Bien à vous,
Saïda"
Sujet : que sommes-nous condamnés à apprendre ?
Quels types d'arguments pouvez-vous développer dans vos parties ?
1) Discussion d'un présupposé : est-il légitime ? Est-il discutable ? Pourquoi ?
2) Définition d'un terme et mise en évidence de sa polysémie : quelles conséquences et questionnements en fonction de la définition retenue ?
3) Proposition de réponse à la question : présentation d'un argument illustré par un ou plusieurs exemples
Surtout, n'oubliez jamais ceci : il existe plusieurs BONNES manières de traiter un sujet.
Plusieurs dissertations qui ne convoqueraient pas les mêmes exemples, ne développeraient pas les mêmes arguments et ne discuteraient pas les mêmes notions pourraient mener à la construction d'un écrit satisfaisant. Ce qui importe, c'est la précision et la pertinence de vos analyses.
Par exemple, les arguments proposés par Saïda ne sont pas les mêmes que ceux proposés par Maxime dans l'article précédent (Comment progresser en dissertation ? partie 3). Pourtant, les deux développements pourraient donner lieu à de bons écrits.
Un même thème peut être abordé de différentes manières. N'imaginez pas qu'il existerait une correction type à laquelle vous devriez nécessairement correspondre. C'est d'ailleurs un peu la même chose en maths. Je me souviens d'un devoir maison que l'on m'avait donné en classe de seconde. Il fallait démontrer je ne sais plus quoi dans le cadre d'un problème de géométrie.
J'avais bossé sur ce devoir pendant des heures et fini par construire une démonstration de plusieurs pages qui m'avait finalement permis de répondre à la question. Très fière de moi, j'étais arrivée confiante au cours suivant, persuadée d'avoir trouvé "la" solution.
Et bien non. En trois lignes, le prof nous a montré que l'on pouvait obtenir le même résultat plus rapidement. Mais peu importe, mon raisonnement était juste.
Il existe donc sûrement des manières plus élégantes ou rapides de faire les choses…en maths.
En philo ou en Histoire, différentes approches peuvent se révéler justes, élégantes et pertinentes.
Et concrètement ?
Comment élaborer une problématique à partir d'une liste d'idées ?
Pour élaborer votre problématique, il faut que vous sachiez ce que vous voulez "montrer".
Autrement dit, il faut que vous ayez défini quelle réponse vous allez donner à la question qui vous est posée.
Reprenons les propositions suggérées par Saïda :
Que sommes-nous condamnés à apprendre ?
1) Cela dépend de la définiton que l'on donne au terme "condamné" (= obligation stricte, circonstancielle, morale, sociale, juridique…?)
2) Cela présuppose qu'un apprentissage collectif serait effectif, nécessaire ou souhaitable
3) Cela dépend de la façon dont on considère les enjeux liés aux circonstances d'un apprentissage : apprendre quoi ? par qui ? pourquoi ? pour quoi ?
Cette analyse du sujet correspond à sa problématisation.
En discutant et définissant les termes choisis, et en relevant et analysant les présupposés du sujet, vous transformez la question en problème à résoudre.
Concrètement, à partir du sujet, vous dégagez trois ou quatre questions qui mettent en évidence en quoi c'est une question plus complexe qu'elle en a l'air. Car il ne s'agit jamais de vous engager directement à lister vos réponses (du genre : "eh bien, il faut d'abord apprendre à parler, et puis ensuite il faut apprendre à marcher, et puis à lire et puis à compter, etc.).
Pourquoi ?
Mais parce que cela dépend toujours de la façon dont on choisit de comprendre les termes employés, du contexte, etc.
Saïda le met d'ailleurs très bien en évidence : ce que l'on a besoin d'apprendre pour survivre dans un pays en guerre n'a rien à voir avec ce qu'il est de notre intérêt de savoir lorsque l'on va à l'école dans un pays industrialisé. Non ?
Et là, vous voyez que j'ai introduit deux manières différentes de comprendre le mot "condamné" (= nécessité ou intérêt), et que le contexte historique et social change également la donne.
Pour passer de la problématisation (= plusieurs questions) à la problématique (= une formulation qui indique au lecteur "ce que vous allez montrer"), il faut ensuite que vous fassiez des choix.
Voici deux plans possibles à partir des propositions suggérées par Saïda :
Premier plan
1) Nous apprenons par nécessité vitale…
2) …pour trouver notre place dans le groupe social…
3) …mais également pour devenir des citoyens responsables
Dans cette première proposition, je choisis de discuter la notion "d'obligation" :
1) Apprendre = une necessité pour survivre
2) Apprendre = un intérêt qui me permet d'accéder à une place sociale décente ou prestigieuse
3) Apprendre = un dessein moral qui me permet de penser par moi-même et de prendre part aux affaires de la Cité
Deuxième plan
1) La notion de "savoir universel" est irréaliste…
2) …mais elle se révèle heuristique au niveau du groupe social
3) Un "savoir collectif" peut devenir un projet de société…
4) …même s'il demeurera toujours une utopie
Dans cette deuxième proposition, je choisis de discuter le présupposé qu'il existerait un "savoir collectif" (suggéré par le "nous" dans le sujet) :
1) "Nous apprenons" : la notion de "savoir universel" est un artefact
2) "Nous apprenons" : la notion de savoir collectif peut avoir une réalité, voire être souhaitable
3) "Nous apprenons" : que tous les membres d'une société sachent ou apprennent la même chose peut se révéler nécessaire ou souhaitable
4) "Nous apprenons" : il est irréaliste de penser que tous les membres d'une société pourrait acquérir les mêmes savoirs ou savoir-faire
La problématique est alors la formulation de ce que vous vous proposez de (dé)montrer dans le cadre de votre écrit.
Pour le premier plan : nous allons voir qu'apprendre, pour tout un chacun, est à la fois une nécessité absolue, un obligation intéressée et une obligation morale.
Pour le deuxième plan : si le fait d'apprendre est une nécessité, l'idée que nous devrions ou serions contraint de tous apprendre la même chose est une utopie.
Il y aurait encore d'autres plans possibles…
Comme nouvel exercice, en vous référant aux propositions de Saïda et Maxime sur le sujet "que sommes-nous condamnés à apprendre ?", quels autres plans (et problématiques) pourriez-vous envisager ?
Merci d’avoir pris le temps de reprendre ma réflexion!
Je vais étudier et transposer votre démarche sur un autre sujet pour m’entraîner à passer d’une problématisation du sujet à une problématique.
D’ici là, je vais continuer à profiter de vos articles qui, pour ma part, m’aident à structurer mes idées, tout en leur rendant leur « créativité » souvent malmenée par les techniques très galvaudées du système scolaire.
Un blog que je vais continuer à suivre avec grand plaisir…
Félicitations pour la sortie de votre livre!
Bien à vous
Saïda
Bonjour Saïda,
Surtout, n’hésitez pas à venir témogner de votre expérience concernant l’analyse d’autres sujets !
Merci pour vos analyses et à bientôt,
Hélène
Oui, je pense revenir vers vous très prochainement…
A bientôt,
Saïda
Bonjour,
je suis en Du violences faites aux femmes. Pouvez vous me donner votre avis sur ma problèmatique ?
Merci d'avance
Thème : Femmes sous emprise psychologique dans la relation à l’autre.
Constat : Non conscientes de la violence subie, de nombreuses femmes restent des années sous l’emprise d’un partenaire violent psychologiquement.
Problématique : Quel type de prise en charge proposé afin que comme le suggère Alain Ferrant l’emprise nécessaire au travail thérapeutique ne soit pas un obstacle ? Quel type d’écoute offrir : l’écoute psychanalytique ou psycho traumatique, les entretiens individuels ou/et les groupes de parole ?
Je souhaite approfondir ma connaissance du concept d’emprise, ma compréhension des femmes touchées par le phénomène et de ses conséquences psycho traumatiques et penser un cadre d’écoute le plus propice à la réappropriation par la femme de sa parole et de son désir.