Depuis quelques années déjà, j’anime des formations à destination de moniteurs (doctorants se formant à l’enseignement universitaire). Le début des rencontres est toujours consacré au partage de toutes les interrogations qui les animent concernant la situation d’enseignement. Et voici les quatre questions qui reviennent systématiquement : comment gérer un groupe et avoir de l’autorité ? Comment adopter la juste distance vis-à-vis des étudiants ? Comment faire avec les différences de niveaux ?
Et surtout : Comment intéresser les étudiants ?
Sachez donc que la grande majorité de vos enseignants ont à cœur de vous intéresser à ce qu’ils vous racontent, même s’ils n’atteignent pas toujours leur objectif. Cette préoccupation finit d’ailleurs par agacer beaucoup d’enseignants plus chevronnés : « les profs ne sont pas là pour donner aux étudiants ce qu’ils attendent mais ce dont ils ont besoin », « et déterminer ce qui est utile ou pertinent, aux dernières nouvelles, c’était tout de même le boulot du prof ».
Les enseignants n’auraient donc pas à « rendre leurs cours sexy ». Leur priorité serait de « transmettre » et non de « jouer les animateurs ».
Mais de cela, je pense que les étudiants eux-mêmes conviennent. Car la difficulté principale, pour eux, n’est pas de ne pas « être intéressés » (même s’ils s’en plaignent souvent), mais de ne pas « comprendre ». Alors, s’il s’agit pour le prof de « transmettre », pourquoi n’a-t-il pas toujours à cœur d’être écouté et compris ?
Je trouve ce questionnement légitime même s’il comporte une dérive. L’étudiant qui rencontre des difficultés d’attention et de concentration ne peut pas indéfiniment reprocher aux enseignants de ne pas faire ce qu’il faudrait. Ou alors, il risque de ne jamais s’intéresser aux moyens dont il dispose, lui, pour « mieux écouter » et « mieux comprendre », et ce indépendamment des professeurs.
Repérer quel est son « profil pédagogique » poursuit cet objectif. Il s’agit de cerner quels sont vos canaux de communication privilégiés, ainsi que votre manière de penser et réfléchir, afin de comprendre ce qui vous met éventuellement en difficulté dans la façon d’enseigner de certains de vos professeurs. Vous pourrez ainsi dégager des voies possibles pour progresser.
1- Quels sont vos canaux de communication privilégiés dans le cadre d’une situation d’apprentissage ?
Vous « apprenez » constamment, pas seulement quand vous êtes dans une salle de cours avec un enseignant en face de vous. Dès que vous cherchez à assimiler un savoir ou une compétence, vous adoptez une posture qui vise à chercher des informations, les trier et les sélectionner, les mettre en lien avec des choses que vous savez déjà, puis vous les approprier pour être en mesure de les réutiliser.
Dans ce cadre, trois de vos sens jouent un rôle significatif : la vue, l’ouïe et le toucher. Définir votre profil pédagogique consiste en premier lieu à repérer quelles sont les informations sensorielles auxquelles vous êtes le plus sensible et réceptif.
Abordons le problème sous l’angle des enseignants avec lesquels vous vous sentez le plus à l’aise :
– Un enseignant qui vous parle et vous « explique » oralement les choses ?
– Un enseignant qui représente ses explications au tableau à l’aide de schémas, de cartes, d’images, de graphiques ou de calculs détaillés ?
– Un enseignant qui agit, fait lui-même ce qu’il vous demande de savoir faire et vous conduit à expérimenter ce savoir-faire dans la pratique, en situation ?
Le plus souvent, un enseignant utilise plusieurs de ces approches en même temps. Les plus appréciés font même les trois à la fois : ils accompagnent leurs explications verbales de schémas, graphiques ou images qu’ils inscrivent ou projettent au tableau, et mettent régulièrement en scène soit des expériences scientifiques, soit des exemples, soit des exercices détaillés pour donner une représentation concrète de leurs explications. Par contre, l'approche "kinesthésique" (= vous devez expérimenter pour apprendre) demande un dispositif pédagogique plus spécifique qui fait la part belle à l'expérience, aux travaux pratiques, à l'observation, et plus globalement à toutes les activités qui tendent à rendre les étudiants actifs dans le processus d'apprentissage.
Ces trois approches pédagogiques se complètent, mais elles sont rarement utilisées par le même enseignant dans la même séquence pédagogique. Alors, lorsque l’un seulement de ces canaux de communication est privilégié, lequel vous convient le mieux ?
– Les explications verbales ? Vous êtes alors d’un profil « auditif ».
– Les représentations sous forme de schémas, tableaux, cartes, graphiques, formules… ? Vous êtes alors d’un profil « visuel ».
– L’expérience ou le fait de "trouver par vous-même" en étant simplement guidé ? Vous êtes alors d’un profil « kinesthésique ».
Exemple : l’objectif est d’apprendre à servir au tennis. L’entraîneur peut vous expliquer oralement la marche à suivre, vous la représenter à l’aide d’un schéma, ou vous montrer le geste pour vous demander ensuite de vous entraîner. Si vous devez obligatoirement choisir, quelle approche privilégiez-vous ?
On aurait tendance à penser que certaines approches pédagogiques sont plus pertinentes en fonction du savoir ou du savoir-faire à acquérir. Certaines sont en effets plus rapides et efficaces, en théorie. Le problème est que souvent, nous avons développé une préférence pour l’une d’entre elles indépendamment de cette considération.
Ma mère est par exemple d’un profil pédagogique purement « auditif ». Ce sont les explications verbales qui l’aident à comprendre. Sa bibliothèque déborde ainsi de manuels de toute sorte visant à « expliquer » verbalement comment « jouer au tennis », « faire du yoga » ou « apprendre l’anglais ». Une approche kinesthésique semblerait pourtant bien plus adaptée pour appréhender le sport, comme l’apprentissage d’une langue. Il faut en effet apprendre « en mouvement », "en faisant" ou en parlant. Ce n’est pourtant pas « ce qui parle » à ma mère. Du coup, même si cela lui prend plus de temps ou que ce n’est pas la méthode la plus adaptée, elle persiste à vouloir apprendre « par les mots ».
Il est important également de repérer que le système scolaire français, d’une manière générale, privilégie les canaux d’information auditifs et visuels. Du coup, les élèves qui comprennent mieux « en faisant » se trouvent souvent lésés, ou désignés comme « moins intelligents », alors qu’ils n’ont fait que privilégier une voie d’apprentissage différente.
Enfin, certaines disciplines invitent à utiliser certains canaux plutôt que d’autres : les disciplines littéraires siéent davantage aux profils auditifs, les disciplines scientifiques aux profils visuels et les disciplines basées sur le savoir-faire (sport, technologie…) aux profils kinesthésiques. Cette correspondance est dû en partie au fait que ces disciplines sont le plus souvent enseignées en privilégiant les canaux d’information susnommés, qui correspondent donc mieux aux élèves qui y sont le plus sensible.
Mais comment le fait de connaître votre profil pédagogique va vous aider à être plus attentif en cours ? C’est la question à laquelle je vais tenter de répondre maintenant, en vous amenant à repérer « ce que vous faites » des informations que vous transmettent vos professeurs.
2- Quelles sont vos habitudes évocatives ?
Comme je l’ai présenté dans l’article précédent (Que veut dire « être attentif » en cours ?), « être attentif » suppose d’avoir le projet de revoir dans sa tête ce que l’enseignant expose : il s’agit donc de créer des « évocations mentales » de mots, d’images (fixes ou en mouvement), voire de reproduire en situation un savoir-faire, pour être éventuellement en mesure de les mettre en lien avec des contenus mémorisés.
Que se passe-t-il dans votre tête ?
Evoquez-vous un contenu auditif (des mots, des phrases, évoqués à la première ou à la troisième personne) ou un contenu visuel (des images de toute sorte, même des images de mots ou de phrases, des symboles, des cartes…) ?
Peut-être ne faites-vous ni l’un ni l’autre. Si vous privilégiez les évoqués kinesthésiques, vous allez avoir besoin de pratiquer pour être concentré et attentif. Ni ce que vous dira votre enseignant, ni ce qu’il vous montrera ne fera sens. Par contre, si l’on vous propose de « faire par vous-même », d’expérimenter et de rechercher les infos dont vous avez besoin, là vous serez dans votre élément, et donc concentré et attentif.
Comment faire concrètement ? Si vous êtes plutôt visuel et que votre enseignant ne fait que parler ? Si vous êtes auditif et que votre enseignant écrit et représente ses explications au tableau sans jamais accompagner ses écrits d’explications verbales ?
Quels conseils pourraient vous être utiles pour gagner en concentration et « être attentif » malgré tout ? C’est que je me propose de vous expliquer ici.
Merci énormément, c'est incroyable à quel point je me reconnais dans ce que vous dîtes !
Entièrement d'accord avec votre article.
C'est pour cette raison que je trouve que le e-learning devrait être bien plus développé.
Que se soit pour un cours de math ou quoi que ce soit d'autre, la matière pourrait être présentée de différentes manières: textuel, schémas, audio, serious game,…
Ce serait à l'apprenant de choisir librement le support qui lui convient le mieux pour assimiler la matière.
Bonjour,
J’aime beaucoup votre proposition : varier les canaux de transmission pour permettre à chaque étudiant de s’y retrouver. Cela demande pas mal de travail pour l’enseignant. Pour ma part, j’essaye de construire des contenus (en présentiel) qui alternent les temps « visuels », « auditifs » et « kinesthésiques », mais j’avoue qu’étant moi-même très auditive, c’est avec ce mode de transmission que je me sens le plus à l’aise (et que je suis du coup sûrement la meilleure).
J’ai cependant pris conscience récemment que je parvenais davantage qu’avant à intéresser mes étudiants en école d’ingénieur. La majorité est de profil pédagogique visuel et j’avais souvent l’impression qu’ils perdaient leur concentration à mesure que je « parlais ».
Aujourd’hui, j’agrémente beaucoup plus mon discours d’exemples et de situations vécues auxquels ils peuvent s’identifier. Du coup, je pense qu’ils traduisent visuellement dans leur esprit ce que je leur dis beaucoup plus facilement, ce qui favorise à la fois leur intérêt et leur attention.
L’e-learning offre effectivement des outils variés et très intéressants, qui permettent d’adapter un contenu à tous les canaux d’apprentissage. A nous de nous en saisir.
A bientôt,
Hélène
Je crois que je suis un globe trotteur qui passe d'un mode à l'autre en fonction du moment/du domaine. Je pense qu'il est important d'être capable de passer d'une approche à une autre pour un même domaine, c'est en tout cas une facilité que j'ai essayé d'explorer et de travailler, et ce pour plusieurs raisons. D'abord, les enseignements ne sont pas toujours adaptés à notre façon d'apprendre, alors il faut pouvoir s'adapter au mode d'enseignement qui est proposé. Autre raison, étant donné que l'apprentissage, ce n'est que tisser des liens avec ce qui existe déjà dans notre petite tête, autant maximiser les sources de liens, donc autant jongler de liens "physiques" à des liens "auditifs", et revenir à des liens visuels. Je reste à penser que chacune de ces approches s'attaque à un aspect du problème étudié et que souvent, les trois aspects sont importants. Cela revient quelque part aux conseils que l'on a dans le livre "pragmatic thinking and learning" quelque part, où il est rappelé que plus on met en oeuvre des sens différents, et plus il est facile d'apprendre et retenir quelque chose. Prenons l'informatique par exemple, l'un des mode de transmission du savoir sont les conférences. Lorsque je vais à une conférence, la transmission est essentiellement auditive, lorsque je prends des notes, je vais tenter de synthétiser les connaissances sous forme ce mind maps et de schémas, histoire de prendre un peu de recul, puis, lorsque je vais vouloir appréhender le savoir-faire, je vais tenter de mettre en pratique sur des exemple, tester et apprendre de l'expérimentation pour ensuite faire évoluer mes schémas et trasmettre cette connaissance en prenant cette fois le rôle d'orateur. Je n'imagine aujourd'hui pas me concentrer sur une seule des trois approches qui m'apparaissent comme complémentaires et nécessaires, tout comme la dualité L-mode/R-mode si l'on veut dépasser le premier niveau du modèle dreyfus. Qu'en pensez vous ?
Bonjour Frédéric,
Je suis entièrement d’accord avec vous. S’entraîner à utiliser tous les canaux d’apprentissage est effectivement ce qui vous permet d’être à l’aise ensuite quelle que soit la modalité de transmission.
A bientôt,
Hélène