Je me suis longtemps plainte des travers et de l'incompétence de mes reponsables.
Je ne compte plus les fois où j'ai quitté une institution en me félicitant de ne plus avoir à travailler sous les ordres d'un directeur trop autoritaire, sans aucun jugement ou incapable de prendre les bonnes décisions.
Je me suis drapée dans mon intransigeance et ma bonne conscience pendant des années, jusqu'à ce qu'un jour, je devienne directrice moi-même, par promotion, au sein d'une institution où j'avais auparavant exercé à un niveau de responsabilité moins important.
Je fus alors moi aussi accusée d'inconscience, d'abus de pouvoir, d'ambitions purement individualistes et de calculs gestionnaires. Du jour au lendemain, on m'évita dans les couloirs, on m'accusa d'avoir les dents qui rayaient le parquet, et de gérer l'équipe avec indifférence et mépris.
J'eus donc à coeur d'y comprendre quelque chose…
Hélène WEBER
Le manager responsable, Souffrance au travail et responsabilités hiérarchiques
Paris, Les points sur les i Editions, 2014.
A l'origine de ce livre
Les conditions de travail de nombreux professionnels ne cessent de se dégrader à l'heure actuelle. La réduction des coûts, les objectifs de rentabilité ou la quête de l'excellence ou du zéro délais/zéro défaut tendent à se généraliser.
Je rencontre pourtant régulièrement des responsables hiérarchiques désireux de mettre leur énergie au service d'un projet respectueux des personnes qu'ils ont sous leur responsabilité.
L'harmonie dans les relations, la prise en compte des problèmes rencontrés sur le terrain, la santé psychique des travailleurs font partie de leurs préoccupations quotidiennes, tout autant que les objectifs du projet institutionnel.
Ils subissent également la pression du système : la prescription de normes idéales, l'individualisation de l'évaluation, la dictature des chiffres. Pourtant, ils sont déterminés à prendre en compte les problèmes pour leur donner du sens et organiser les espaces de réflexion permettant de les prendre en charge collectivement.
A quelles difficultés concrètes sont-ils confrontés ?
Comment peuvent-ils intégrer les innombrables contraintes qui pèsent sur leur activité d'encadrement ?
Comment peuvent-ils donner du sens à leur activité et prendre des décisions en accord avec leurs valeurs dans lesquelles ils se reconnaissent ?
C'est à ces différentes questions que je me suis donnée pour objectif de répondre dans le cadre de ce livre.
Je suis partie de mon expérience sur le terrain
Pendant quatre ans, j'ai travaillé dans une école d'éducateurs dont le projet défendait des valeurs humanistes, portées par une association gestionnaire implantée au niveau national : éducation populaire, pédagogie active et participative, pédagogie institutionnelle.
Les étudiants étaient accueillis en tant qu'adultes responsables et acteurs de leur formation, et les salariés étaient des professionnels rôdés à l'analyse de la pratique professionnelle et des enjeux relationnels au sein des équipes.
Tout invitait à penser que dans cette institution au moins, les problèmes de souffrance au travail seraient, sinon inexistants, du moins pris en considération.
Les formateurs avaient en charge de former des travailleurs sociaux au service des personnes les plus fragilisées de notre société. J'imaginais qu'ils mettaient également leurs compétences au service de la qualité des relations professionnelles émaillant leur quotidien de travail.
Mon expérience dans cette école comme formatrice, puis comme directrice pédagogique, m'a permis d'éprouver combien je pouvais être dans l'erreur.
Analyser une situation et la vivre n'a rien de semblable, même si c'est un lieu commun que de l'affirmer.
Pour ma part, j'imaginais être en mesure de prendre du recul quelles que soient les circonstances. J'imaginais qu'un master de Psychologie et un doctorat de Sociologie pouvaient me prémunir contre la souffrance au travail, le goût de l'excellence, les prescriptions irréalisables et le besoin de reconnaissance.
Je me suis douloureusement trompée.
Dans ce livre, je m'appuie sur ma propre expérience en tant que directrice, mais également en tant que subordonnée. Je commence par raconter l'expérience professionnelle à l'origine de mes questionnements, puis j'analyse les contradictions avec lesquelles le responsable hiérarchique est aux prises dans le cadre des missions qu'il doit assumer.
Table des matières
Préambule : récit de mon expérience
Introduction
Chapitre 1 : Les objets de la plainte adressée au responsable
La surcharge de travail
La gestion de l'incertitude
Les décisions arbitraires
Le déni de reconnaissance
Chapitre 2 : Le vécu d'impuissance au coeur de la souffrance au travail
L'impuissance face à la machine
L'impuissance face à l'organisation
L'impuissance face aux clients, aux patients ou aux usagers
L'impuissance face aux collègues
Aux origines du vécu d'impuissance
Chapitre 3 : Aurions-nous besoin de ce dont nous nous plaignons ?
A qui profite la désorganisation ?
Occuper la place de "celui qui comble"
Soigner le vécu d'impuissance
Chapitre 4 : Les conflits en nous et les conflits entre nous au travail
La projection des conflits intrapsychiques
La personnalité des responsables hiérarchiques et la façon dont ils encadrent leurs équipes
La personnalité des subordonnés et la façon dont ils se positionnent vis-à-vis de leur responsable
Supporter le vécu d'impuissance
Chapitre 5 : Prendre soin des relations ou de l'organisation ?
"Mieux communiquer" est-il un objectif valable ?
Comprendre les conflits relationnels à différents niveaux
Chapitre 6 : Responsabilités hiérarchiques et conscience professionnelle
Apprivoiser le sentiment d'urgence
Remettre constamment ses valeurs sur la table
Supporter les attaques personnelles
Rechercher la conciliation des intérêts individuels avec ceux du projet collectif
Quelle posture choisir ?
Chapitre 7 : Donner du sens au cadre de son action
Lorsqu'agir, c'est d'abord penser
Panser les contradictions pour réinventer sa mission
Les voies d'action et d'accompagnement envisageables
Conclusion