Une autre manière d’enseigner les langues

Cet article a été rédigé par Hélène BOURGEOIS (hbfacilitation.com)

 

En quoi les langues étrangères sont-elles une matière spécifique à enseigner/ à apprendre ?

 

Je me suis posée cette question car j’ai moi-même éprouvé beaucoup plus de difficulté à l’école dans ces matières que dans d’autres.

 

Je continue à m’interroger sur le sujet car suite à mes expériences à l’étranger, je me suis rendue compte que je pouvais très vite apprendre à communiquer dans une langue étrangère.

La seule langue que je n’ai pas apprise à l’école, avec des conditions de vie qui facilitaient la pratique, je l’ai apprise en 6 mois. J’évoluais dans un groupe d’amis hispanophones et j’ai vécu un mois et demi, l’été, dans une famille espagnole. Quand je dis « apprise », je ne veux pas dire que j’étais devenue bilingue, mais à la rentrée, j’ai fait un test rapide de niveau et selon mes réponses, j’étais approximativement en B2. C’est-à-dire que j’étais une utilisatrice indépendante de la langue.[1] Ensuite, l’apprentissage était beaucoup plus facile, vu que j’avais la possibilité de communiquer avec des natifs et donc d’améliorer mon vocabulaire ou de me pencher sur la grammaire avec intérêt.

 

Bizarre…

 

J’ai commencé l’anglais en 6ème, à l’âge de 11 ans. Et je n’ai pas arrêté d’étudier cette matière, avec plus ou moins d’intérêt, certes, jusqu’à mes 21 ans.

Après 10 ans de cours, je n’étais pas encore une utilisatrice indépendante de la langue alors que j’avais même fait le pari de l’immersion dans le cadre de quelques séjours linguistiques pendant mon adolescence. En anglais, en plus de ne pas pouvoir communiquer dans cette langue, j’avais hérité de bons petits traumatismes qui même à l’âge adulte m’ont fait revenir dans la coquille de petite fille qui perd ces moyens dans certaines situations.

Un double travail donc, pour compenser l’influence de certains professeurs qui m’avaient fait perdre confiance en moi, et surtout d’une méthode qui n’était pas adaptée aux spécificités de cet objet d’étude.

 

  1. La clef du savoir : la confiance

 

La confiance est une variable qui est essentielle à prendre en compte pour tout apprentissage. Si on n’est pas convaincu que l’on est capable d’apprendre les maths, l’histoire ou l’anglais, aucune chance que ça marche. L’apprenant doit évoluer en toute tranquillité avec sa progression. Ce ne doit pas être un objet de peur ou d’angoisse. Personnellement, j’ai le souvenir de m’être cachée derrière mon cartable pour ne pas être interrogée à l’oral en langues à l’école.

 

Pour permettre aux apprenants d’évoluer en toute confiance dans la classe et de ne pas se sentir jugés, d’avoir l’espace de pratique, de progression et non de notation, il est indispensable de le poser comme objectif pédagogique. Ce n’est pas un plus, c’est le premier levier de l’apprentissage des langues.

 

Pour cela, plusieurs sous-objectifs :

  1. Créer un climat convivial entre les élèves (et aussi avec le formateur/ professeur bien sûr) pour qu’ils puissent se soutenir, s’encourager les uns les autres, mais aussi s’expliquer ce qu’ils ne comprennent pas entre eux.
  2. Travailler les compétences de communication à l’oral (compréhension et dialogue) grâce à des exercices ludiques (jeux/ théâtre).

 

  1. Comment créer un climat convivial dans le groupe ?

Il serait dommage de se priver de l’aide de tous les co-facilitateurs présents dans le groupe classe. Chaque élève est apprenant mais peut aussi être un relais d’explication pour les autres.

Je pense sincèrement que plus on devient expert dans une matière, plus c’est difficile de l’expliquer à des débutants avec le cœur car on a tout simplement oublié ce que c’est que de ne pas savoir. Nous avons tendance à oublier les méthodes que l’on a nous-mêmes utilisées pour apprendre. 

 

Quoi de mieux, après avoir explicité une consigne, que de demander à un autre élève de la reformuler avec ses mots ?

Cela permet de donner deux fois plus de chances aux apprenants de comprendre la consigne tout en leur offrant un autre regard sur la présentation de l’exercice. Enfin, pour la personne qui reformule, c’est un vrai exercice de transmission qui lui donne l’opportunité de grimper en compétence dans ce domaine aussi.

 

Créer un climat convivial dans la classe, c’est aussi travailler à ce que les élèves se connaissent, échangent en duo et en petits groupes.

La plupart des exercices oraux n’ont pas besoin de se faire devant toute la classe à moins que le professeur/ formateur veuille développer la compétence « prise de parole en public ». C’est bien là la difficulté de prendre la parole en cours de langue ; ce n’est déjà pas facile pour la majorité des gens de prendre la parole devant un groupe alors si en plus ça doit être dans une langue étrangère, tout en sachant que l’on est jugé/ noté sur notre prestation, on crée le climat parfait de perte de moyens pour une personne normale.

 

Si on utilise l’oral devant le grand groupe en classe, c’est pour permettre la correction du professeur. Or rien de mieux que de s’exprimer sans être coupé et de se rendre compte soi-même au fil des échanges en classe, dans la langue ciblée, de ses propres erreurs. Une fois que la confiance est installée rien n’empêche des échanges en duo avec le professeur pour faire un point sur les objectifs de progression.

 

  1. Donner un éclairage spécifique à la prise de parole en public

Et si les cours de langue étaient l’occasion de combattre nos démons de la timidité ? 

Comme on l’a vu précédemment, cet apprentissage vient souvent réveiller notre propre peur de nous exprimer à l’oral. Handicap très français d’ailleurs par la structuration de l’enseignement. En Angleterre par exemple, les élèves sont encouragés à s’exprimer, à donner leur avis sur un sujet en classe.

 

Dans mes cours, je dédie une bonne partie du temps à  l’accompagnement des apprenants dans l’acquisition des savoir-faire/être de la langue.

 

Par exemple :

  • être confiant pour parler devant un petit groupe
  • construire des périphrases afin de substituer une expression à un mot de vocabulaire qu’ils ne connaissent pas dans la langue ciblée

 

Pour cela, j’utilise beaucoup le théâtre d’improvisation.

 

Je vais illustrer les deux exemples de savoir-faire que je viens de donner par l’activité spécifique que j’utilise pour stimuler les élèves.

 

  • Parler devant un groupe/ déployer sa faculté d’improvisation :

Pour stimuler cette compétence, j’utilise l’exercice du « Grand oral », transmis par ma collègue Marie Fromont qui travaille justement sur la prise de parole en public[2].

Les élèves écrivent n’importe quel sujet sur un papier, ça peut aussi bien être « la pomme », « le lancer de fer-à-repasser » ou « la couleur rouge ». Peu importe l’idée qui leur passe par la tête, il l’écrive et n’ont évidemment pas besoin d’être un expert du sujet.

Le facilitateur réunit tous les papiers avec les thèmes des participants.

Ensuite, chacun vient piocher un thème au hasard et devra se comporter comme s’il était un expert du sujet en présentant d’abord son thème en 30 secondes puis en répondant aux questions du public.

Cet exercice permet de travailler la confiance des élèves devant un groupe. Il permet aussi de leur montrer qu’ils peuvent avoir confiance en leur capacité d’improvisation. Bien souvent, ils sont obligés d’inventer des réponses tout en se montrant toujours confiants devant les autres.

 

  • S’exprimer de différentes façons

Pendant mes cours de français langue étrangère, je demande aux élèves de ne parler qu’en français. Ainsi, si un élève ne comprend pas un mot, les autres doivent expliquer en français ce que cela veut dire, sans le traduire. Cette consigne leur pose souvent problème. Ils ne trouvent pas les mots pour expliquer et se trouvent souvent bloqués.

Pour remédier à cela, je travaille à développer leur capacité à périphraser ce qu’ils veulent dire, mais aussi, à trouver les mots justes et développer leur communication corporelle.

Le meilleur exercice que j’ai trouvé pour concourir à ces trois objectifs en même temps, c’est le Time’s up. Je l’utilise en début de cours pour réviser les mots de vocabulaire de la leçon précédente. Les élèves écrivent eux-mêmes les nouveaux mots dont ils se rappellent sur des petits papiers. Je vérifie juste qu’il n’y a pas les mêmes mots écrits plusieurs fois.

Ensuite, les élèves passent un par un pour faire deviner le plus de mots possibles en 1minute 30 au reste de la classe. C’est un exercice de confiance car ils doivent s’exprimer devant toute la classe, mais en général l’envie de gagner et le côté ludique du jeu renforce la confiance et l’envie de passer à l’action.

Pendant le premier tour, ils peuvent utiliser tous les mots (en français) pour faire deviner celui qui est écrit sur leur papier (exceptés les mots de la même famille).

Au second tour, on réutilise les mêmes mots et les volontaires ne peuvent utiliser qu’un seul terme pour les faire deviner.

Au troisième tour, on utilise toujours les mêmes mots, mais cette fois-ci, les volontaires doivent mimer.

En début de cours, j’alterne soit un Time’s up, soit un Pictionnary, soit un Taboo (plutôt en fin de cycle car je fais construire les cartes par les élèves). Ces exercices ont beaucoup de vertus : créer une ambiance conviviale, stimuler la mémoire, tout en travaillant sur des compétences clefs pour l’apprentissage des langues (construction de périphrases, prise de parole en public, etc.)..

 

J’espère que ces quelques idées vous inspireront pour développer vos propres cours ou pour faire évoluer vos objectifs pédagogiques si vous êtes dans une situation d’apprentissage d’une langue.

 

Je vous encourage à commenter cet article si vous avez des questions sur les méthodes ou si vous voulez nous faire part de votre propre expérience en tant que pédagogue dans les langues étrangères.

 

Cet article a été rédigé par Hélène BOURGEOIS (hbfacilitation.com)


[1] Peut comprendre le contenu essentiel de sujets concrets ou abstraits dans un texte complexe, y compris une discussion technique dans sa spécialité. Peut communiquer avec un degré de spontanéité et d’aisance tel qu’une conversation avec un locuteur natif ne comportant de tension ni pour l’un ni pour l’autre. Peut s’exprimer de façon claire et détaillée sur une grande gamme de sujets, émettre un avis sur un sujet d’actualité et exposer les avantages et les inconvénients de différentes possibilités. Source : http://www.france-langue.fr/page/niveaux-de-francais-

 

[2] https://www.linkedin.com/in/marie-fromont-42757976/?ppe=1

 

2 thoughts on “Une autre manière d’enseigner les langues”

  1. Excellent comme article ! Vos cours de langues ont l’air d’être dynamiques, bienveillants, amusants et animés de façon ludiques. j’adore !
    Ayant vécu à l’étranger (3 ans en Irlande et 5 ans en Australie), je me suis rendue compte que la manière dont j’appréhendais les langues étaient complètement différente de celle que j’avais eu comme élève à l’école.
    D’une part, j’ai considéré que les langues étaient (sont) une manière avant tout de communiquer avec l’autre. C’est un média pour échanger, connaître et appréhender des personnes, des cultures et une manière de vivre différentes.
    En outre, ça m’a permis d’avoir accès à des sujets qui me passionnaient (écologie, bien-être, cuisine, architecture, etc.). Donc en partant de ce qui me faisait vibrer, j’ai pu découvrir des choses merveilleuses grâce à une langue différente.
    Il faut dire que parler une autre langue me permettait d’oser penser différemment… (Mais c’est une autre histoire)
    Bref, tout ça pour vous dire que : Yes you absolutely got it right! I love what you’re doing and your approach mixing languages, learning and creativity is unique and is a great response to what’s missing : a way to learn language in a fun and respectful way towards ourselves and those who surrounds us.

    1. Bonjour Coralie,
      Tout d’abord merci beaucoup d’avoir pris le temps de partager avec moi ces encouragements et votre vision de l’apprentissage des langues. Je peux vous dire que votre message me va droit au coeur et que je l’ai relu plusieurs fois.
      Je vous rejoins totalement quand vous écrivez qu’apprendre une langue vous permet aussi d’oser penser différemment. Un des concepts clefs de la Programmation Neuro-Linguistique (PNL) et qui fait échos en moi est que « la carte n’est pas le territoire », c’est à dire que notre manière de voir les monde nous est propre en fonction de nos codes culturels, de notre histoire mais aussi du vocabulaire dont nous disposons. J’ai lu qu’en inuit il y avait 52 mots pour dire la neige, j’imagine donc que pour eux c’est tout une autre histoire d’en parler…
      Au plaisir d’échanger autour de nouveaux articles!

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